Aujourd’hui, de nombreux médias se font l’écho des négociations menées au sein de l’UE sur l’hydrogène dans le cadre du grand projet de réforme législatif et réglementaire au doux nom de « Fit for 55 », en référence à l’objectif de réduction des émissions de l’UE d’au moins 55 % d’ici à 2030. « Actes délégués » sur les carburants d’origine renouvelable, adoption en cours de la « directive RED III » sur les énergies renouvelables… autant de textes et de termes juridiques qui peuvent rendre difficilement perceptibles les enjeux qu’ils sous-tendent, et leurs implications pratiques pour les porteurs de projet.
Voici trois points clés à retenir
La préférence européenne pour l’hydrogène renouvelable et ses conséquences concrètes
On le sait, la Commission avait donné le ton dans sa Stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre dès 2020 : priorité sera donnée à l’hydrogène dit « renouvelable », c’est-à-dire produit par électrolyse de l’eau et avec de l’électricité d’origine renouvelable. Sa ligne est restée là même depuis lors, et le plan RepowerEU élaboré face à la crise ukrainienne a réaffirmé cette primauté.
Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Tout simplement que les prochains textes législatifs et réglementaires de l’UE qui ont été récemment adoptés, qui sont en cours d’adoption ou qui le seront prochainement favoriseront le développement de ce type d’hydrogène, face à l’hydrogène dit « bas-carbone » (l’hydrogène d’origine fossile avec captage du carbone et l’hydrogène électrolytique, avec une réduction significative de la quantité d’émissions de GES sur la totalité du cycle de vie) et bien évidemment face à l’hydrogène carboné. Les investissements (via la taxonomie européenne sur les investissements durables), les subventions, les appels d’offres, les garanties d’origine, l’accélération des procédures administratives (voire l’assouplissement de certaines règles), les conditions d’accès au marché du gaz… seront pensés et conçus dans ce but de priorisation.
La lutte française pour la prise en compte de l’hydrogène bas-carbone et ses premières victoires
Faut-il pour autant en déduire que les projets d’hydrogène bas-carbone n’ont pas d’avenir ? Répondre par l’affirmative serait un peu hâtif. En effet, la Commission sait que l’hydrogène bas-carbone reste un levier utile à court et moyen terme, le temps que les technologies liées à la production et au stockage de l’hydrogène renouvelable deviennent plus matures et rentables. Par ailleurs, la France bataille ardûment pour que l’hydrogène produit à partir d’électricité fortement décarbonée (ce qui est le cas du mix électrique français, notamment grâce au nucléaire) soit intégré dans les objectifs de réduction de GES et de part des énergies renouvelables dans les différents secteurs : transport, industrie…
Pour l’heure, la démarche française semble porter ses premiers fruits : le projet de directive sur les marchés de l’hydrogène et du gaz retient une définition de l’hydrogène bas carbone qui accorde sa place à l’électricité d’origine nucléaire, les récents actes délégués adoptés permettent de considérer comme « renouvelable » un carburant d’origine non-biologique (RFNBOs, comme l’hydrogène) s’il est produit à partir d’électricité provenant d’un mix énergétique décarboné. L’enjeu se concentre désormais sur la future directive RED III, pour laquelle les négociations ont déjà permis d’obtenir un accord (en mars 2023) sur plusieurs points structurants, et notamment une certaine prise en compte de l’hydrogène bas-carbone dans le domaine de l’industrie et du transport.
Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Cela signifie que le cadre juridique en cours d’élaboration visera également à favoriser la production et l’usage d’hydrogène bas-carbone, l’enjeu étant, dans un premier temps, de réduire autant que possible les émissions de GES des pays européens.
La facilitation annoncée des projets et ses répercussions actuelles
Les leviers juridiques à l’émergence des projets sont aujourd’hui clairement identifiés, tant par l’UE que par la France :
- retenir une définition claire de l’hydrogène renouvelable et bas-carbone et surtout cohérente avec la taxonomie européenne sur les investissements durables,
- reconnaître leur rôle dans l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de GES (les comptabiliser),
- introduire la production d’hydrogène renouvelable et bas-carbone dans le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) afin qu’ils disposent de quotas gratuits,
- revoir la taxation énergétique, réviser la réglementation industrielle devenue inadaptée (car conçue initialement pour un hydrogène carboné produit en grande quantité),
- établir des normes européennes
Les chantiers sont nombreux et surtout fortement attendus par le secteur, qui insiste (à juste titre) sur la nécessité d’avoir rapidement un cadre juridique stable et harmonisé.
En France, plusieurs adaptations ont déjà été apportées, notamment avec la récente loi d’accélération des ENR (10 mars 2023), afin de permettre de gagner plusieurs mois précieux dans le déploiement des projets : facilitation et raccourcissement de certaines procédures (comme la modification du plan local d’urbanisme, le raccordement, les modalités de concertation du public), ouvertures des friches industrielles à l’implantation des projets pour les communes littorales…
D’autres mesures seront négociées dans les prochains mois, parmi lesquelles une mise à jour de l’arrêté ministériel fixant les dispositions applicables dans le cas de la distribution d’hydrogène carburant (stations temporaires, mobilité lourde, mobilité fluviale et maritime…) :
- une nouvelle note interprétative pour la production d’hydrogène,
- une mise à jour de l’arrêté ministériel fixant les dispositions applicables dans le cas du stockage d’hydrogène (voire la création d’un régime d’enregistrement ?),
- l’assouplissement de certaines restrictions pour le transport d’hydrogène (voie routière et avitaillement)…
- et surtout la publication du décret relatif au dispositif de soutien à l’hydrogène à la production d’hydrogène renouvelable ou d’hydrogène bas-carbone par électrolyse de l’eau.
Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Si le délai et la complexité des procédures administratives peuvent légitimement paraître perfectibles, il est important de noter que la démarche de simplification juridique est déjà sérieusement engagée au niveau européen et français. Les porteurs de projets doivent identifier et se saisir des facilités procédurales qui ont été récemment introduites en France, et anticiper les prochaines évolutions réglementaires à venir.
La dynamique est enclenchée, il faut l’utiliser à bon escient !
Article rédigé par Emma Petrinko, avocate en droit de l’environnement au sein du cabinet FIDAL.